CANTO GENERAL présenté lors d'un Concert organisé par le Conseil Général des Hautes Pyrénées le Dimanche 7 novembre 2004 à LARREULE

Le livre "Canto General" de l'écrivain chilien Pablo Neruda est une suite de 342 poèmes, œuvre maîtresse de la poésie latino-américaine de notre temps. Elle fut écrite dans des circonstances politiques difficiles.
Pablo Neruda
Mikis Theodorakis
www.mikis-theodorakis.net/canto-f2.htm

www.mikis-theodorakis.net/nerudbio.htm

L'oratorio dévoile, en sept tableaux, un pays, une terre nourricière, des hommes, un peuple qui tout au long de son histoire a dû lutter pour affirmer son identité et conquérir sa liberté.

Aux sources du chant, c'est l'Amérique originelle, force vivante, terre grandiose et maternelle. L'opulence de la création végétale fait de cette nature fertile un espace disposé à la vie. Après les fleuves, les minéraux viennent les hommes. Des hauteurs du Macchu Picchu viendra la civilisation indienne. Mais avec Cortés commencent trois siècles de soumission à la force brutale de la colonisation espagnole.

Vers 1800, un nouveau printemps fait sortir de la terre une force neuve qui soulève le peuple, c'est l'Amérique insurgée, fière de l'identité de sa civilisation retrouvée. A peine libéré, le peuple exploité par les classes privilégiées se voit à nouveau soumis à la nouvelle colonisation : celle de l'argent et de l'impérialisme américain.

Neruda nous dit "j'existe", l'Amérique latine existe. C'est du fond de sa terre, c'est du fond du coeur de ses hommes que sort ce cri de vie, ce cri d'espoir et de révolte éternellement recommencé.

Voy a vivir

Je vais vivre

Yo no voy a morirme.

Salgo ahora en este día lleno de volcanes

hacia la multitud, hacia la vida.

Aquí dejo arregladas estas cósas

hoy que los pistoleros se pasean

con la cultura occidental en brazos,

con las manos que matan en España

y las horcas que oscilan en Atenas

y la deshonra que gobierna a Chile

y paro de contar.

Aquí me quedo

con palabras y pueblos y caminos

que me esperan de nuevo, y que golpean con manos consteladas en mi puerta

Je ne vais pas mourir.

Je pars en ce jour rempli de volcans

vers l'homme en foule, vers la vie.

J'ai tout réglé. Je laisse tout ceci en ordre

aujourd'hui que les gangsters se promènent

avec dans les bras la culture occidentale,

avec des mains qui assassinent en Espagne

et des gibets qui se balancent sur Athènes

et le déshonneur qui gouverne le Chili.

Je cesse de conter.

Me voici

avec des mots, des peuples, des chemins

qui à nouveau m'attendent, et dont les mains constellées frappent à ma porte

Los Libertadores

Les Libérateurs

Aquí viene el árbol, el árbol

de la tormenta, el árbol del pueblo.

De la tierra suben sus héroes

como las hojas por la savia,

y el viento estrella los follajes

de muchedumbre rumorosa,

hasta que cae la semilla

del pan otra vez a la tierra.

Aquí viene el árbol, el árbol

nutrido por muertos desnudos,

muertos azotados y heridos,

muertos de rostros impasibles,

empalados sobre una lanza,

desmenuzados en la hoguera,

decapitados por el hacha,

descuartizados a caballo,

crucificados en la iglesia.

 Aquí viene el árbol, el árbol

cuyas raíces están vivas,

sacó salitre del martirio,

sus raíces comieron sangre,

y extrajo lágrimas del suelo:

las elevó por sus ramajes,

las repartió en su arquitectura.

Fueron flores invisibles,

a veces, flores enterradas,

otras veces iluminaron

sus pétalos como planetas.

Y el hombre recogió en las ramas

las corolas endurecidas,

las entregó de mano en mano

como magnolias o granadas

y de pronto, abrieron la tierra,

crecieron hasta las estrellas.

Este es el árbol de los libres.

El árbol tierra, el árbol nube.

El árbol pan, el árbol flecha.

El árbol puño, el árbol fuego.

Lo ahoga el agua tormentosa

de nuestra época nocturna,

pero su mástil balancea

el ruedo de su poderío.

 Otras veces, de nuevo caen

las ramas rotas por la cólera

y una ceniza amenazante

cubre su antigua majestad:

así pasó desde otros tiempos,

así salió de la agonía

hasta que una mano secreta,

unos brazos innumerables,

el pueblo, guardó los fragmentos,

escondió troncos invariables,

y sus labios eran las hojas

del inmenso árbol repartido,

diseminado en todas partes,

caminando con sus raíces.

Este es el árbol, el árbol

del pueblo, de todos los pueblos

de la libertad, de la lucha.

 Asómate a su cabellera;

toca sus rayos renovados;

hunde la mano en las usinas

donde su fruto palpitante

propaga su luz cada día.

Levanta esta tierra en tus manos,

participa de este esplendor,

toma tu pan y tu manzana,

tu corazón y tu caballo

y monta guardia en la frontera,

en el límite de sus hojas.

Defiende el fin de sus corolas,

comparte las noches hostiles,

vigila el ciclo de la aurora,

respira la altura estrellada,

sosteniendo el árbol, el árbol

que crece en medio de la tierra.

Voici venir l'arbre, c'est l'arbre

de l'orage, l'arbre du peuple.

Ses héros montent de la terre

comme les feuilles par la sève,

et le vent casse les feuillages

de la multitude grondante,

alors la semence du pain

retombe enfin dans le sillon.

Voici venir l'arbre, c'est l'arbre

nourri par des cadavres nus,

des morts fouettés et estropiés,

des morts aux visages troublants

empalés au bout d'une lance,

recroquevillés dans les flammes,

décapités à coups de hache,

écartelés par les chevaux

ou crucifiés dans les églises.

 Voici venir l'arbre, c'est l'arbre

dont les racines sont vivantes,

il a pris l'engrais du martyre,

ses racines ont bu du sang,

au sol il a puisé des larmes

qui par ses branches sont montées

parsemant son architecture.

Elles furent fleurs, quelquefois

invisibles, fleurs enterrées,

d'autres fois elles allumèrent

leurs pétales, comme des planètes.

Et l'homme cueillit sur les branches

les corolles aux parois durcies,

il les tendit de main en main

tels des magnolias, des grenades,

et brusquement, ouvrant la terre,

elles grandirent jusqu'au ciel.

C'est lui, l'arbre des hommes libres.

L'arbre terre, l'arbre nuage.

L'arbre pain, l'arbre sarbacane,

l'arbre poing, l'arbre feu ardent.

Inondé par l'eau tempétueuse

de notre époque de ténèbres,

son mât décrit dans le roulis

les arènes de sa puissance.

 D'autres fois la colère brise

les branches qui tombent à nouveau

et une cendre menaçante

couvre sa vieille majesté :

ainsi franchit-il d'autres temps

et sortit-il de l'agonie,

jusqu'au moment où une main

secrète, des bras innombrables,

le peuple, en garda les fragments

et cacha des troncs immuables.

Ses lèvres étaient alors les feuilles

de l'immense arbre réparti,

disséminé de tous côtés,

qui marchait avec ses racines.

Voici venir l'arbre, c'est lui

l'arbre du peuple, tous les peuples

de la liberté, de la lutte.

 Montre-toi dans sa chevelure :

palpe ses rayons restitués,

plonge la main dans les usines,

là même où son fruit palpitant

chaque jour répand sa lumière.

Lève dans tes mains cette terre,

unis-toi à cette splendeur,

emporte ton pain et ta pomme,

ton coeur aussi et ton cheval

et monte la garde aux frontières,

aux confins de sa frondaison.

Défends le but de ses corolles,

partage les nuits ennemies

veillant au cycle de l'aurore,

respire la cime étoilée,

en protégeant l'arbre, cet arbre

qui pousse au milieu de la terre.

Vegetaciones

Végétations

A las tierras sin nombres y sin números

bajaba el viento desde otros dominios,

traía la lluvia hilos celestes

y el Dios de los altares impregnados

de volvía las flores y las vidas.

En la fertilidad, crecía el tiempo.

El jacarandá elevaba espuma

Hecha de resplandores transmarinos.

La araucaria de lanzas erizadas

Era la magnitud contra la nieve.

El primordial árbol caoba,

desde su copa destilaba sangre;

Y al sur de los alerces,

El árbol trueno, el árbol rojo,

el árbol de la espina,

El árbol madre, el ceibo bermellón,

El árbol caucho,

Eran volumen terrenal, sonido,

Eran territoriales existencias.

Un nuevo aroma propagado

Llenaba, por los intersticios de la tierra,

Las respiraciones convertidas

en humo y fragancia:

El tabaco silvestre alzaba su rosal

de aire imaginario.

A las tierras sin nombres...

Sur les terres sans noms et sans chiffres

le vent d'autres domaines descendait,

la pluie apportait des cordons célestes

et le dieu des autels spongieux

restituait les fleurs et les vies.

Dans la fertilité, le temps croissait.

Le jacaranda s'élevait en une écume

de chatoiements bleu marine.

L'araucaria et ses lances hérissées

était la majesté contre la neige.

L'arbre primordial : l'acajou,

distillait du sang du haut de ses branches ;

Et au Sud des mélèzes,

l'arbre tonnerre, l'arbre rouge,

l'arbre épineux,

l'arbre matrice, le flamboyant vermillon,

l'arbre à caoutchouc,

étaient volume terrestre, étaient son,

existences territoriales.

Un nouveau parfum propagé

emplissait, par les interstices de la terre,

haleines et souffles mués

en arôme et fumée :

le tabac sauvage dressait son rosier

d'air imaginaire.

Sur les terres sans noms...

America insurrecta

L'Amérique Insurgée

Nuestra tierra, ancha tierra, soledades,

se pobló de rumores, brazos, bocas.

Una callada sílaba iba ardiendo,

congregando la rosa clandestina,

hasta que las praderas trepidaron

cubiertas de metales y galopes.

Fue dura la verdad como un arado.

Rompió la tierra, estableció el deseo,

hundió sus propagandas germinales

y nació en la secreta primavera.

Fue callada su flor, fue rechazada

su reunión de luz, fue combatida

la levadura colectiva, el beso

de las banderas escondidas,

pero surgió rompiendo las paredes,

apartando las cárceles del suelo.

El pueblo oscuro fue su copa,

recibió la substancia rechazada,

la propagó en los límites marítimos,

la machacó en morteros indomables.

Y salió con las páginas golpeadas

y con la primavera en el camino.

Hora de ayer, hora de mediodía,

hora de hoy otra vez, hora esperada

entre el minuto muerto y el que nace,

en la erizada edad de la mentira.

Patria, naciste de los leñadores,

de hijos sin bautizar, de carpinteros,

de los que dieron como un ave extraña

una gota de sangre voladora,

y hoy nacerás de nuevo duramente

desde donde el traidor y el carcelero

te creen para siempre sumergida.

Hoy nacerás del pueblo como entonces.

Hoy saldrás del carbón y del rocío.

Hoy llegarás a sacudir las puertas

con manos maltratadas,con pedazos

de alma sobreviviente, con racimos

de miradas que no extinguió la muerte,

con herramientas hurañas

armadas bajo los harapos.

Notre terre, ample terre, solitudes,

se peupla de rumeurs, de bras, de bouches.

Une syllabe muette qui brûlait

y rassemblait la rose clandestine,

jusqu'au jour où les prairies trépidèrent

couvertes de métaux et de galops.

La vérité fut dure comme une charrue.

Elle rompit la terre, établit le désir,

enfouit ses propagandes germinales

et naquit durant le printemps secret.

Sa fleur fut silencieuse, repoussée

sa grappe de lumière, combattue

le levain collectif, le baiser

des drapeaux cachés,

mais elle surgit lézardant les murs,

écartant les geôles du sol.

Et le peuple obscur fut sa coupe,

il reçut la substance refoulée,

la propagea jusqu'aux limites de la mer,

il la pila dans des mortiers irréductibles.

Et il sortit avec ses pages martelées

et avec le printemps sur le chemin.

Heure d'hier, heure méridienne, heure

à nouveau d'aujourd'hui, heure attendue

entre la minute morte et celle qui naît,

à l'âge hérissé du mensonge.

Patrie, tu fus engendrée par les bûcherons,

par les enfants non baptisés, les charpentiers,

par ceux-là qui donnèrent,tel un oiseau étrange,

une goutte de sang ailé,

et aujourd'hui tu vas renaître durement,

de ce lieu où le renégat et le geôlier

te croient à jamais submergée.

Aujourd'hui comme alors tu vas naître du peuple.

Aujourd'hui tu vas sortir du charbon, de la rosée.

Tu vas venir secouer les portes

avec des mains meurtries, des bribes

d'âme survivante, des grappes

de regards que la mort n'a pas éteintes,

avec aussi de durs outils

armés sous les haillons.

Extrait du site : http://concertsenvienne.free.fr/oeuvre/histoire.htm
L'histoire du "Canto General" de Pablo NERUDA et Mikis THEODORAKIS

PABLO NERUDA (1904-1973)

Poète chilien, Pablo NERUDA s'adresse à l'humanité tout entière et parle, avec ses mots, au coeur de l'homme en nous contant l'Amérique latine. Ce prix Nobel de littérature persiste à croire en l'Homme malgré les emprisonnements, les tortures et les doutes. En 1947, Neruda commençait à dénoncer ouvertement la dictature au Chili. En 1948, sa détention fut ordonnée, l'obligeant à entrer dans la clandestinité. C'est durant l'année suivante de vie secrète que Neruda écrit son "Canto General", prévu initialement comme un chant au Chili. Rapidement il l'élargi à un genre de "légende des siècles" de toute l'Amérique latine, empreinte d'un "romantisme révolutionnaire qui n'est pas en désaccord avec le réalisme auquel mon livre aspire".

MIKIS THEODORAKIS (né en 1925)

Compositeur grec, lui aussi engagé politiquement et incarcéré pendant trois ans sous la dictature grecque de 1967, Mikis THEODORAKIS rencontra Neruda à Paris en 1964. Les deux hommes sympathisèrent aussitôt, et Neruda s'investit beaucoup pour la libération de Theodorakis en 1970. Un an plus tard, il invita Theodorakis au Chili, fier de la démocratie installée sous Salvador Allende. Pendant cette visite, Theodorakis écouta des concerts avec des mises en musique de certains poèmes du "Canto General" . C'est là qu'a mûri son idée de composer lui-même une musique sur ces poèmes. Neruda et Theodorakis se sont retrouvés dans l'œuvre qui en résulta, avec leur combat perpétuel pour la dignité de l'homme, la paix et la liberté. Dans les années suivantes, le "Canto" fut donné en concert - dans sa version initiale, avec seulement sept poèmes et accompagnement d'orchestre populaire - dans divers pays, remportant toujours un grand succès. Theodorakis retravailla cependant l'orchestration. La création mondiale de la nouvelle version eut lieu à Athènes, le 25 août 1975, peu après la fin du régime des colonels, sous la direction de Theodorakis lui-même, qui marquait ainsi un retour triomphal dans sa patrie. Au fur et à mesure, Theodorakis ajouta six autres pièces aux sept de la première version. Une de ces treize pièces de la version définitive n'est pas basée sur un poème de Neruda, mais sur un hommage en langue grecque à Neruda, écrit par Theodorakis lui-même, intitulé "Neruda requiem aeternam".

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